La plus jolie des légendes, à laquelle je souscris avec enthousiasme, prétend que Soqotra abritait le jardin d’Éden !
J'avoue que la légende me séduit d'autant plus qu'elle précise qu'un événement crucial de l'Ancien Testament se déroule bel et bien sur l'île : l'assassinat d'Abel par Caïn !
Une telle précision me semble un argument irréfutable pour situer le Paradis. C'est un scoop !
Ce n'est pas tout, car en témoigne encore de nos jours, pour preuve, la sève cramoisie comme sang, le sang d'Abel, la sève du dragonnier, l'arbre emblématique de l'île, sève que je vais récolter pour vos violons dans le chapitre botanique. Patientez.
De ce meurtre situé dans l'île après leur exclusion, vous déduirez avec moi qu’Ève et Adam sont restés là, larmoyants et penauds, aux portes du Paradis, avec leur pomme qui n'était qu'un concombre. De fait, la Genèse ne parle pas de pomme, et il n'y en pas sur l'île, tout concorde !
Mais ce non-dit biblique laisse planer un doute, car l'article "Figuier" vous révèlera l'existence du "Pommier de Sodome". Mieux : les fruits de ce pseudo-pommier sont petits, creux et portent des surnoms argotiques... Bref, c'est bien un attrape-nigauds.
Il me semble inutile de préciser que ces malheureux parents ont donné naissance à leurs fils après avoir été chassés du jardin d'Éden par le courroux divin, et non auparavant.
Vous en déduisez logiquement que le jardin, tout prestigieux qu'il soit de siècle en siècle, était modeste : il n'occupe qu'une partie de l'île, une île de 3580 km². Tant pis, le Paradis est tout petit...
Ai-je dit qu'un mur coupe l'île en deux ? D'un côté une zone résidentielle privilégiée et exclusive, de l'autre une zone pour trimer et accoucher avec la mer démontée pour seule échappatoire...
Ça vous rappelle quelque chose ? Ailleurs qu'en mer d'Arabie ?
Oui, sachez-le, il y avait bien un mur selon l’étymologie : « pardis », le mot persan avestique, langue ancienne des zoroastriens, signifie bien « jardin clos de murs ».
Crédit CC-JB : photos prises par Céline ou Jean-Baptiste.
Et des jardins, il y en a ! Les villageois de Soqotra nomment "jardins" (en anglais "gardens"), leurs enclos protégés de l'appétit des chèvres par des murs de pierres hérissés de branchages. Ces jardins bénéficient de la précieuse eau des sources qui jaillissent de la montagne. De loin, leurs surfaces vertes plus ou moins circulaires semblent de petites oasis, contrastant avec les bruns et les gris environnants.
Cherchez le jardin Crédit CC-JB
Nous découvrirons leurs cultures tropicales.
Ne serait-ce que pour ce théâtre biblique, Soqotra mérite tous les détours. Caïn et Abel relèguent au loin les autres légendes qui prétendent que la sève du dragonnier est l'exsudation du sang d'un trop banal dragon.
Si un dragon a fait la une des journaux, je le dis, c'est plutôt sur l'île de Batz ! Je fais l'impasse sur le dragon.
Une autre légende, qui veut à tout prix une happy end, édulcore le meurtre, qui devient une rixe entre frères jumeaux, suivie d'une réconciliation très fleur bleue. Je pourrais faire l'impasse sur les jumeaux, mais...
Mais la mythologie grecque, elle aussi, a des attraits. Elle confirme, en effet, ces rumeurs tenaces sur la présence de frères jumeaux.
Ainsi, dans l'antiquité le nom qui désigne Soqotra est... Dioscorida ! L'île des Dioscures, les « fils jumeaux de Zeus » !
Les Dioscures, qui veillent sur l'île depuis leur constellation, sont mieux connus chez nous sous leur nom de Gémeaux, Castor et Pollux, et scintillent prétentieusement dans le ciel... sans leurs sœurs.
Tous les soirs nous contemplions Orion, et cherchions en vain les Gémeaux. Ils n'étaient pas bien loin, mais un peu facétieux...
Grâce à un subterfuge qui vaut un thriller, ces jumeaux sont bien nés le même jour d'une même mère, mais non du même père. Il y a un peu d'affabulation dans leur gémellité, Castor n'est pas le fils de Zeus. Du coup, Pollux est l'étoile la plus brillante de la constellation.
Néanmoins, ce sont des jumeaux fusionnels jusque dans le ciel.
Pour agrémenter leur histoire de famille, Castor et Pollux ont chacun une « vraie jumelle ». Dans ce thriller, bafouer la génétique n'expose pas à réclamations...
La vraie jumelle de Castor est Clytemnestre, l'épouse d'Agamemnon qu'elle assassinera sauvagement.
Celle de Pollux est Hélène, l'épouse de Ménélas, la plus belle pour aller danser jusqu'à Troie avec ce bellâtre de Pâris !
Moins imaginatifs que leurs sœurs, les Gémeaux sont plus généreux, ils sont les protecteurs des marins, et symbolisent la lumière du matin et la lumière du soir, chacun portant une torche, l’un vers le haut, l’autre vers le bas.
Vous verrez que c'est très utile sur Soqotra.
Une telle famille méritait que j'aille guetter le ciel depuis Socotra !
Surtout que, moi, je me voyais déjà danser avec Hélène, même si je suis, maintenant (!), un peu moins beau que Pâris.
Ce n'est pas tout, dans « Le Livre des Merveilles», Marco Polo ajoute son grain de sel, et mentionne les traditions orales de l'océan Indien occidental qu'il a parcouru en imagination.
« Les Chrétiens de cette île sont les plus sages enchanteurs et nécromanciens qui soient au monde car ils font venter le vent qu'ils veulent. Ils calment la mer quand ils veulent, et quand ils veulent font grande tempête et grand vent en la mer. »
Ce ne sont pas des fake-news, vous apprendrez bientôt que, sur Soqotra, les vents sont pervers.
Mais quand même, je crains davantage les pirates somaliens que les enchanteurs socotris, et n'embarquerai pas.
« Pas même pour pêcher les tortues avec ton rémora apprivoisé ? »
Ah !... Il faut alors que j'emporte une petite outre pour l'eau de mer...
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